L'interprétation théorique des états modifiés de conscience étant terminée, nous allons dans cette troisième partie aborder les limites, puis les perspectives de notre démarche.
Les aspects les plus problématiques de cette tentative théorique semblent, dès prime abord, se situer sur deux plans:
- sur un plan éthique et religieux d'une part, l'exclusion de toute intervention d'esprits, de "puissances", ou divinités dans les E M C se justifie d'elle même pour des raisons théoriques. Cette exclusion peut être vue comme une négation a priori de l'existence de ces entités transcendantes - ou considérées comme telles -. Cela pose inévitablement problème car ces divinités convoquées (ou subites) dans les rites deviennent totalement inopérantes et inutiles, dans notre perspective.
- sur un plan théorique d'autre part, la psychologie cognitive, que nous avons pris pour cadre, nous invite explicitement à modéliser les événements (comportements, états cognitifs) observés. Or, comme nous allons le voir, une telle entreprise semble vouée à l'échec.
Le premier aspect des limitations inhérentes à notre démarche est d'ordre éthique; il est du à notre élimination a priori de toute manifestation supranaturelle. Il est clair que nous ne nous situons pas dans la mouvance de l'histoire des religions, ni dans celle de l'Anthropologie, et que de ce fait nos préoccupations sont sensiblement différentes. Mais ce ne sont là que des postulats de travail. Il est certain que l'existence d' une ou plusieurs divinité(s) invaliderait, de fait, notre approche. De telles éventualités ne doivent pas entraver notre volonté d'expliquer tous les E M C de manière synthétique. La démarche que nous avons adoptée est de nature théorique elle ne peut donc interférer (ou entrer en opposition) avec des croyances. Nous insistons sur le fait que cette orientation théorique se réclame non spéculative. Des sousbassements expérimentaux doivent étayer toute théorie sur les E M C. C'est bien là qu'est le danger pour les croyances, les mythes et les religions concernées. Si un jour se crée une telle théorie cela démontrera d'une certaine manière l'inopérance de ces divinités pendant les transes. Les bases expérimentales de cette éventuelle théorie sonneraient, à nos oreilles rationalistes, le glas pour ces croyances.
Faisons cette expérience de pensée: des expériences sur les E M C viennent confirmer une théorie cognitive globale sur les E M C. Ceci a pour conséquence immédiate de remettre en question a priori toute interprétation de faits mettant en jeu des E M C. Toutes les transes chamaniques, les transes d'exorcisme se passent de leur divinité pour être. Quid des divinités ?
Imaginons de plus, que de nouvelles expériences du même type aboutissent dans ces disciplines: Psychologie cognitive, Psychiatrie, Pharmacologie, Ethno-psychiatrie. Ceci amènerait un renouveau du scientisme, mais surtout une remise en question de toute croyance religieuse, mystique, magique... Remise en question à caractère universel puisque qu'il s'agit d'expliquer des dysfonctionnements cognitifs et uniquement cela. On peut souhaiter, ou pas, que cette évolution se produise. Mais telles en seraient les conséquences théoriques ultimes.
Nous avons décidé de présenter ces réflexions dans les limites de notre démarche plutôt que dans les perspectives par égard aux systèmes de croyances sacrées existant. Il ne faudrait, en effet pas penser que nous tenons à expliquer tel ou tel phénomène pour invalider une religion ou une autre. Cette expérience de pensée illustrait une des conséquences perverses de la réussite de notre démarche. De telles spéculations relèvent, et relèveront encore longtemps, de la science-fiction: aucune théorie opérationnelle sur les E M C n'est sur le point d'être trouvée. Nous pensons qu'une telle évolution est de nature à assombrir l'imaginaire humain. Mais sa valeur sur un plan théorique dans le cadre de recherches fondamentales est - selon toute apparence - indéniable.
D'autre part, l'impossibilité de modéliser les E M C semble venir de deux facteurs antagonistes. Il s'agit premièrement, de la nature même des "objets" étudiés, qui, dans leur occurrence et dans le vécu qu'en ont les sujets sont toujours différents. Il est tout à fait improbable - mais pas impossible - qu'un sujet ait deux fois le même vécu représentationnel. Le contexte, la personnalité , l'humeur, l'état d'esprit..., l'imagination, produisent par nature un contenu toujours changeant à nos représentations. C'est de la fluidité des contenus représentationnels dont il s'agit. De plus, comme le fait remarquer L.Chertok: "La transe peut se situer tantôt plus particulièrement sur le versant psychologique, tantôt plus particulièrement sur le versant physiologique. Selon sa personnalité le sujet mobilisera, soit des structures psychologiques, soit des structures physiologiques", (in L.Chertok,1989); i.e d'un point de vue externe, la transe met en jeu des modifications physiques ou ("ou" inclusif) psyschiques; sur un plan biochimiques ces altérations sont, évidement, toutes physiologiques. Par exemple un possédé aura, ou non, des modifications physiques. Comment le savoir par avance ? La régularité et la stabilité des processus cognitifs mis en jeu n'étant ici nullement remises en question.
Deuxièmement, la notion de modélisation implique - dans son sens technique - qu'une théorie soit élaborée, puis que cette théorie soit formalisée. S'il est possible de formaliser des processus cognitifs, il en va tout autrement pour théoriser des E M C. En effet, faire une théorie c'est construire un système explicatif - ce que nous avons tenté de faire - et surtout prédictif. C'est bien là qu'est la difficulté. La prédiction d'une altération du fonctionnement cognitif, et du vécu qui l'accompagne, nous paraît hasardeuse. Il est certes possible de dire: si tel E M C est induit, il y aura telle et telle modification structurelle de la conscience, tel type de schéma sera activé...Cela étant dit nous n'en savons pas beaucoup plus sur ce que vivra le sujet, et c'est bien cela qu'il serait intéressant de savoir. Non pas d'un point de vue personnel, psychologique ou affectif, mais pour confronter les prédictions avec les faits, et ainsi "falsifier", ou confirmer l'éventuelle théorie. Il semble y avoir une impossibilité fondamentale à pouvoir prédire des contenus mentaux
De plus l'usage statistique et probabiliste des données en psychologie cognitive ne nous serait ici d'aucune utilité, puisque c'est la spécificité qui crée tel type de modification plutôt que tel autre. Seuls les E M C provoqués dans des conditions expérimentales (qui sont proches de celles rencontrées en psychologie expérimentale), où les variables environnementales sont "neutralisées", peuvent se prêter à la prédiction. Ceci est dû au fait que les modifications de la conscience, dans ces E M C proviennent de suggestions, et qu'il est plus aisé de prédire cela même qu'on suggère. Que la suggestion soit endogène ou exogène au sujet ne changent rien. Exception faite de ceux-ci, les E M C sont tributaires de faits pas toujours repérables, et non quantifiables ce qui rend toute prédiction pertinente improbable. En outre l'impossibilité a priori de savoir comment va s'orienter la transe fait plus penser à une incertitude fondamentale qu'à une impossibilité; i.e les possibilités technologiques et expérimentales ne sont pas en causes dans notre ignorance. Dans cette perspective aucun progrès ne peut nous apporter de solutions. Si ce phénomène est a priori incertain, cela sape tout espoir de recherches visant à prédire des contenus mentaux. La résolution de ce problème donnerait a priori la possibilité d'établir une théorie opérationnelle et légitime des E M C.
Présentons, dans ce chapitre final, les perspectives de notre démarche. Dans un premier temps, nous allons tenter une comparaison entre les E M C et certaines pathologies mentales; dans un second temps, nous essayerons de montrer que l'expérimentation sur les E M C est possible, et qu'elle serait source de nouvelles connaissances sur le fonctionnement mental de l'Homme.
L'étude que nous venons de faire prenait en compte uniquement les E M C; le rapprochement est facile à faire, et a souvent été fait, avec certaines pathologies mentales. Il est aussi possible de les considérer comme des pathologies expérimentales: "L'hypnose réalise une catalepsie provoquée. C'est en somme une sorte de maladie mentale expérimentale chez l'homme..." (H.Baruk 1988). Ceci montre la proximité existant entre ces modifications qualitatives de la conscience. Comment différencier une crise d'hystérie d'une transe de possession ? Ces diverses manifestations de la conscience ne sont elles-même pas éloignées de ce que l'on nomme en psychiatrie les troubles de la personnalité multiple, (troubles qui donnent aux sujets la conviction qu'ils sont quelqu'un d'autre). Si l'on se réfère à nos interprétations théoriques, la condition de possibilité des E M C est la "mise hors circuit" de la structure de contrôle (S). Cette mise hors circuit peut être induite de bien des façons, mais toutes aboutissent au même résultat: suspendre l'activité de S au profit d'une volonté extérieure ou d'une "logique cognitive" non contrôlée et différente de la normale. Que se passe-t-il lors d'une crise d'hystérie ? Les sujets n'ont-ils pas de crise convulsives semblables à celles que produisait Mesmer, et qui sont symptomatiques d'un dérèglement de la gestion sensori-motrice ? La "somatisation" produite par certains sujets relève-t-elle de mécanismes différents de celle rencontrée lors de séances hypnotiques (ou autres) ? De plus, les phénomènes hallucinatoires fréquents chez les hystériques n'obéissent-ils pas aux mêmes règles de productions que tous les autres phénomènes hallucinatoires ? Pourquoi y aurait-il plusieurs mécanismes différents pour produire le même vécu, le même phénomène ? Est-il possible que des cloques produites par un sujet en transe hypnotique soient générées par des schémas physiologiques fondamentalement différents de ceux produisant ces cloques chez un hystérique ? Il n'y a pas de raison pour que des schémas physiologiques semblables soient activés par des processus cognitifs dissemblables. De ce fait nos interprétations théoriques incitent à ne voir là qu'un seul type de dysfonctionnement cognitif, associé à des schémas propres à chaque E M C et à chaque individu. Ce qui nous conduit à interpréter les crises d'hystérie et les dédoublements de la personnalité comme des E M C et non plus l'inverse.
La mise en oeuvres d'expériences mettant en jeu des E M C nous parait nécessaire à une compréhension globale des mécanismes de la pensée humaine. Les E M C forment une classe à part d'états mentaux. Leur étude systématique nous semble parfaitement compatible avec les objectifs des sciences cognitives; l'I.A étant exclue, puisque son but n'est pas de comprendre notre fonctionnement cognitif, mais d'en faire des simulations. Or, il semble étrange de vouloir expliquer le bon fonctionnement (i.e non pathologique) de la pensée en termes cognitifs, et son dysfonctionnement en d'autres termes. La conduite d'expériences faisant écho à notre étude, devrait décider de la nature purement cognitive de ces états.
Nous ne prétendons évidemment pas pouvoir reproduire une transe chamanique en laboratoire, mais il n'est pas impossible a priori d'étudier les pratiques d'un prêtre exorciste (il y en a un dans chaque évêché), dans des conditions suffisamment "neutralisées". Il n'en demeure pas moins vrai, que certains E M C résisteront encore longtemps aux manipulations expérimentales. Ces états, on l'aura compris, sont ceux où les composantes socioculturelles et religieuses sont - pour les sujets - prépondérantes, autrement dit, où les schémas mis en oeuvre sont essentiellement et exclusivement dirigés par le système de croyance du groupe. Il est possible de penser que les transes chamaniques n'ont pas le "monopole du schéma exclusivement culturel". Le toxicomane et le yogi font aussi appel à des schémas, mais, nous semble-t-il, ces schémas ont un aspect moins rigide et moins directif que ceux employés lors de rites traditionnels: la "génétique mentale" a ici plus de latitude. Par contre la suggestion prend, selon la culture, une orientation différente. Cette orientation détermine la nature de la transe.
Les autres E M C peuvent donc être convoqués à des fins expérimentales, ce qui offre une grande latitude de mouvement. "La plupart des travaux portant sur les E M C sont soit des monographies, soit des études qui s'efforcent de traiter l'ensemble d'un champ de recherche ... Mais rares sont les essais de synthèse qui essayent d'aller plus loin et d'intégrer l'ensemble des recherches concernant les E M C; lorsque cela a lieu, les synthèses sont élaborées soit du point de vue anthropologique, soit du point de vue psychologique [i.e affectif]. La division des disciplines établies n'est pas dépassée et la théorie unifiée des E M C reste à faire." (Lapassade, 1987, nos italiques). Une telle théorie, si elle est possible, devra avoir des bases théoriques et expérimentales très solides. Etant donné l'avancement (!) des connaissances et des recherches sur les E M C, le temps des spéculations théoriques va peut-être devoir céder sa place à celui des investigations expérimentales.
Il est possible, pour ce faire, de prendre des hypothèses de travail très fortes : si l'on accepte l'unicité cognitive de certains dysfonctionnements (unicité du mécanisme responsable des hallucinations, par exemple), doit-on le faire en ce qui concerne les mécanismes physiologiques qui sous-tendent ces modifications ? Si c'est le cas, il nous faudra conclure que les psychotropes ont la même action neurophysiologique que l'hypnose ou que l'I.S. Ou, autrement dit, que l'hypnose et l'I.S induisent exactement les mêmes activations/inhibitions neuronales que la THC du cannabis ou que la cocaïne. Ce qui ne va pas de soit (!). Les drogues ont, en effet, une action biochimique ciblée sur la production et/ou l'inhibition de certains neurotransmetteurs. L'action biochimique des psychotropes est connue des chercheurs, et il est extrêmement improbable que l'hypnose produise les mêmes réactions et le même travail biochimique que ces substances. De ce fait, une investigation différentielle devrait pouvoir résoudre cette apparente incohérence, et exhiber les mécanismes physiologiques mis à l'oeuvre. Cette investigation étudierait comparativement le fonctionnement neurophysiologique de sujets en transe pharmacologique et de sujets en transe purement hypnotique. L'hypothèse serait dans ce cas: "Les mécanismes physiologiques sont-ils les mêmes pour toutes les hallucinations ?" L'élaboration de protocoles expérimentaux est, quant à elle, facilitée par la variété des dispositifs inducteurs. Imaginons que l'on puisse observer (aussi finement que l'on veut) l'activité cérébrale de sujets dans des E M C différents, mais dont le vécu - hallucinatoire - est à peu de chose près identique. Ce vécu "à peu près identique" étant spécifié dans le protocole: par exemple, faire entendre hallucinatoirement une musique aux sujets alors que leur activité générale est la plus réduite possible. Dans les conditions expérimentales requises, il est possible d'utiliser trois E M C: l'hypnose, l'I.S et l'utilisation de psychotropes; les trois pouvant occasionner des hallucinations, et surtout pouvant être dirigées. La mesure de l'activité cérébrale des sujets avec une technique d'imagerie mentale (E.E.G, R.M.N...) devrait pouvoir décider de l'unicité ou non, du mécanisme physiologique des hallucinations. Deux obstacles (non théoriques...) s'opposent pourtant à la tenue de ces expériences: une règlementation sur les "stupéfiants" qui est aveugle et injustifiée, et la nécessité de manipuler des appareils de mesures qui sont rares et couteux...
Il n'est, heureusement, pas nécessaire de recourir à des pratiques illégales ou réservées à un nombre restreint d'initiés pour entreprendre des recherches intéressantes sur les E M C. L'hypnose est un très bon exemple de cela; les manipulations expérimentales permettront sûrement de lever le voile qui recouvre une de ses caractéristiques les plus remarquables; ce que Lapassade nomme le "cogito de transe": c'est l'incapacité des sujets en transe profonde à penser et à dépasser les contradictions, les illogismes. Si, par exemple, un sujet se voit suggérer qu'il a oublié le chiffre 3, et qu'on lui fait faire un calcul incluant normalement l'utilisation de ce chiffre, il sera incapable d'effectuer ce calcul juste, mais il trouvera tout de même un résultat (erroné) en s'inventant une autre logique de calcul; mais cet autre mode de calcul ne le gênera pas, ça ne l'intriguera pas. Par ailleurs, si on suggère au sujet de sortir mentalement de la salle et de décrire ce qu'il voit, il le fera. Sa description sera basée, évidemment, sur les souvenirs qu'il a des lieux, récupérés en mémoire. Mais si on lui suggère de revenir dans la salle et de décrire ce qu'il voit, il s'inclura dans sa description. Citons Lapassade qui raconte une expérience effectuée par Tart: "Tart dit à un sujet qu'il est en train, mentalement, de quitter sa chaise et de sortir de la pièce. Il décrit ce parcours: "Et puis dehors, dit-il, vous trouverez une souris que vous allez rapporter au laboratoire." Il demande au sujet "de retour" de lui décrire la pièce; le sujet obéit et décrit tous les détails de l'environnement proche mais pas la chaise sur laquelle il est resté assis:
- Y a-t-il quelqu'un assis sur cette chaise? demande Tart.
- Oui, moi, répond le sujet hypnotisé.
- Mais, vous venez de me dire que vous étiez
debout au milieu de la pièce...
- En effet je suis toujours debout, là au
milieu de la pièce.
- Mais n'y a t-il pas contradiction à dire à
la fois que vous êtes debout au milieu de
la pièce et assis sur cette chaise ?
- Oui.
- Cette contradiction ne vous gène pas ?
- Non.
- Lequel de vos deux Moi est le Moi réel ?
- Les deux.
- Mais n'y a-t-il pas une différence entre
les deux ?
- Si ! Le Moi qui est debout au milieu de la
pièce tient dans sa main une souris.""
(Lapassade, 1987).
Cette logique de transe, issue de la modification de l'état de conscience a des caractéristiques étranges. Le sujet ne peut plus éviter, résoudre les contradictions. Ce faisant, il "sait" qu'il y a contradiction. C'est une forme de vigilance à la fois passive et active. Passive car elle semble subir ce qui lui arrive; et active car elle observe, et crée ce à quoi elle a affaire. La conscience, en transe, n'est plus un lieu de décision elle est "seulement" un témoin qui observe, et parfois (selon le type de suggestion/schéma employé) analyse et décrit son vécu. Quel que soit le type d'E M C, il y a toujours une instance, un "observateur" qui a affaire avec ce qui lui arrive; que cette instance discrimine, ou non, les composantes modifiées de son champ représentatif, ne change pas le fait qu'elle observe son environnement perceptif (interne et externe).
Les opportunités manipulatoires de l'hypnose, nous offrent la possibilité de créer des expériences qui décideront de la validité de certaines hypothèses de travail. Par exemple, est-on incapable de gérer une contradiction dans un domaine quelconque de la connaissance lorsqu'on est en transe hypnotique ? Ou cette incapacité n'est-elle "ciblée" que sur certains domaines ? Et si c'est le cas, (il n'y a aucune raison a priori mais les "a priori" sur l'hypnose sont sûrement causes de notre méconnaissance théorique et explicative de cet état), quelle en est la liste exhaustive, et quelles sont les caractéristiques pertinentes de ces domaines ? Imaginons que les résultats de telles expériences montrent une unité, une constante dans cette incapacité à gérer la contradiction, d'importantes conséquences théoriques devraient être tirées: l'hypothèse "d'une instance de rationalité" gestionnaire de la cohérence de tous les secteurs d'activité de l'homme pourrait être admise; instance inhibée, ou seulement altérée (?), par la transe hypnotique. Si des domaines cibles se dégagent des résultat expérimentaux , il serait fondamental d'en repérer la(les) particularité(s).
De plus, est-t-il possible de suggérer l'oubli du chiffre 5 à un mathématicien, celui de la note Do à un musicien, ou celui du mot "Idée" à un philosophe ? i.e la compétence en un domaine, prémunit-elle la conscience de l'incapacité à surmonter une contradiction se manifestant justement dans ce domaine ? Il est évident que les tests doivent être basés sur la reconnaissance orale et écrite. Sans entrer dans un débat sémantique, il serait aussi nécessaire, pour faire ces manipulations, de définir strictement la notion de compétence: quelle somme de connaissances et de savoir-faire justifie le titre d'expert. Dans le cas où ces expériences basées sur la compétence montrent des résultats significatifs (ce qui n'est pas acquis d'avance), notre capacité explicative s'en trouvera nettement accrue.
Notons que ces deux séries d'expériences sont indépendantes puisque, sur un plan théorique, il n'est pas contradictoire que la logique de transe affecte tous les secteurs d'activité sauf celui où l'on est expert. De plus, il est possible que la suggestion "marche" pendant la transe mais qu'une suggestion post-hypnotique soit, chez l'expert, impossible. Remarquons qu'une suggestion d'oubli doit être "levée" pour que le sujet recouvre après la transe l'élément perdu. Il peut arriver que l'hypnotiseur ne pense pas à "rendre" au sujet ce qu'il lui a fait oublier ! Ceci entraîne une amnésie post-hypnotique qui peut durer longtemps après la séance. Il est difficile de dire si cet oubli sera, ou non, définitif...
Sur un plan épistémologique ces considérations en appellent d'autres; s'il est possible de décrire des phénomènes, a priori très différents, dans un même langage, dans une même perspective théorique, cela entraîne que les diverses interprétations théoriques existantes ne sont que des faisceaux lumineux éclairant un même objet. Il est, de fait, assez évident qu'aucune des disciplines convoquées ( Ethnologie, Anthropologie, Ethno-psychiatrie, Psychiatre, Neurologie, Neuro-psychologie, et aussi Psychanalyse) ne possède de théorie pertinente, et unanimement reconnue sur les E M C. C'est probablement parce que toutes projettent des structures, des interprétations sur ce qu'elles étudient. Ces projections orientent culturellement les interprétations et font ainsi cadrer l'objet étudié avec des présupposés. Dire aujourd'hui que l'hypnose est une "transe de possession sans possession", (M.Borch-Jacobsen: L'efficacité mimétique in La suggestion, 1991) c'est montrer l'unité fondamentale qui devrait unir les E M C. Nous pensons que la psychologie cognitive, forte de sa méthodologie expérimentale rigoureuse, pourra être à même de fournir ce langage commun qui fait défaut. Nous voulons ici mettre l'accent sur la démarche expérimentale de la psychologie.
Savoir que l'on peut interpréter des états, jusqu'alors réservés à d'autres disciplines, en termes cognitifs, nous donne un pouvoir (et un devoir) d'éclectisme. Le terrain d'expérimentation n'est ainsi plus limité a priori par des interprétations: i.e tout état de conscience peut être soumis à l'investigation, quelle que soit la discipline "dont il dépendait" jusque là. Ce "devoir d'éclectisme" peut être vu sur un plan formel comme une connaissance pure . Pure, car seules les structures des modifications sont stables et apréhendables; ces structures donnent forme à l'état de conscience. Il est ici question de formes vides, de conditions cognitives de possibilités. Ceci, que l'on peut interpréter des états modifiés de conscience en terme de modifications de processus cognitifs, fonde la possibilité de mener des recherches en ce sens. Car nous avons cette connaissance pure qu'il est possible d'étudier des "manifestations" de la conscience - vécu subjectif des sujets - normales ou pathologiques dans une perspective cognitive. Ces théories cognitives possibles justifient, à nos yeux, l'entreprise de recherches.
S'il est réellement possible d'expliquer un aussi grand ensemble d'états de consciences (ensemble que nous ne pouvons borner a priori), en un langage commun, cela ne signifie pas que ce langage ne doive pas évoluer. La possibilité de mener des investigations sur de nouveaux objets, nous conduit à remettre en question le statut et la nature actuels de ces objets. Il est en effet incohérent d'étudier des nouveaux objets avec des présupposés pré-théoriques issus d'autres disciplines; i.e issus d'autres systèmes interprétatifs (Psychiatrie, Psychologie...).
Précisons que cela conduit à étendre et enrichir la notion d'E M C, et non à réduire les nouveaux objets d'études à la taille de l'ancienne notion d'E M C. Il nous faut donc proposer une nouvelle définition de la notion d'E M C, définition qui se basera non plus sur les aspects qualitatifs, subjectifs et comportementaux mais sur le fondement cognitif de ces états. Nous proposerons donc, dans l'attente d'améliorations, cette définition: Est un E M C tout état de conscience engendré par le dysfonctionnement d'un processus cognitif (quel que soit le mode d'induction de ce dysfonctionnement); ces processus cognitifs sont principalement: le taux de vigilance, le "superviseur" (le CDD et le CDC), et la capacité de produire des schémas. Ce renversement conceptuel, s'il est justifié, donne à la psychiatrie et à la psychologie cognitive un point de rencontre épistémologiquement intéressant. Ce point de rencontre n'est certes pas une autre façon d'expliquer des phénomènes déjà interprétés, mais plutôt une autre manière de voir, de questionner certaines pathologies mentales (temporaires ou permanentes). On peut argumenter en disant: parler de "pathologies mentales" c'est déjà interpréter le phénomène, et l'on ne peut avoir affaire, en tant qu'objet d'étude, qu'à des phénomènes déjà interprétés. Certes, mais si ces pathologies mentales sont des dysfonctionnements cognitifs (et non plus des pathologies dues à des chocs ou des déséquilibres affectifs), notre interprétation pré-théorique devient cognitive et non plus clinique. Si l'on prend en compte les résultats des diverses psychothérapies existantes, un tel renouveau est peut être souhaitable.