PSI LAND

 


Tant que les sourds auront des dents

Certes, ils risqueront encore la carie mais, et tel est notre propos d'aujourd'hui, ils pourront aussi combattre leur handicap auditif d'une manière qui rappelle étrangement la transposition des sens...
L'anecdote ne date pas d'aujourd'hui qui donne à penser que les voix dans la tête ne sont pas toujours dues à la schizophrénie.

En juillet 1995, Jean écrit à Michel: "Je travaille présentement - dans le cadre de l'O.C.I.P.E. (l'Organisation de Compilation et d'Information sur les Phénomènes Etranges) - sur le cas d'un dénommé Léon Bouvreuil, qui, à partir du 28 février 1937, se serait mis à entendre des émissions de radio par l'intermédiaire de "...deux dents en or, dont l'une recouvrait un plombage".
Jean habite Beauport, dans la Belle Province du Canada. Michel est votre chroniqueur du mystère présent en ces pages depuis 11 ans. En 1971, Michel relevait lui-même dans le journal La Presse de Montréal où il résidait alors la dépêche de l'agence Keystone du 30 août qui relatait: Mme A... était une petite bonne femme toute simple jusqu'au jour où elle se mit à se plaindre "d'être assourdie à longueur de journée par les programmes d'une station de radio qu'elle entendait à l'intérieur de sa bouche".
Pas étonnant que cette convergence d'intérêt alliée à une belle coïncidence de lieu nous réunisse ici à propos de cette petite curiosité de ceux qui entendent...

 
...la radio dans la tête

Le quotidien québécois Le Week-end national du 2 septembre 1983 contait en effet, dans sa rubrique "C'est arrivé... un jour...", l'aventure savoureuse de Léon Bouvreuil qui, en 1937, à Paris, fut confronté à un problème bizarre. Ecoutant "religieusement" en compagnie de son épouse Tino Rossi chanter "Marinella", soudain celle-ci s'exclame: "Allons, bon"! L'ancêtre du transistor, en panne, vient d'interrompre brusquement les trémolos de la voix suave du sublime Tino.
Or son mari demeure sous le charme comme si la chanson continuait à se faire entendre. En fait, c'est bien ce qui arrive, mais Léon Bouvreuil ne perçoit plus la mélodie à travers ses oreilles mais "directement dans sa tête". Et, lui ne comprenant pas la frustration de sa compagne et elle croyant qu'il se moque d'elle, celle-ci, de rage, se lève et dit: "Puisque c'est comme ça, je ferme le poste!" Ce qu'elle fait en tournant le bouton.
Mais il entend toujours... "Au bout d'une heure de discussion, il leur faut se rendre à l'évidence: Léon Bouvreuil, 38 ans, sain de corps et d'esprit, est victime d'un phénomène aussi soudain qu'invraisemblable: il entend la radio DANS SA TÊTE".

 
A cause d'une dent

Après Tino, ce sont les informations qu'il répète mot pour mot. Ayant trouvé le repos tard dans la nuit, le voilà réveillé en sursaut au petit matin quand il perçoit "une voix d'homme lui commandant la gymnastique matinale: PLI-EZ, RE-LE-VEZ! PLI-EZ. CE-SSEZ!"
Quel calvaire pour Léon jusqu'à ce qu'il constate, repu de fatigue, que seul un bâillement peut interrompre la réception!
Un médecin visité lui demande quelle station le tourmente ainsi? Et Léon répond que "ça dépend des heures et des endroits où il se trouve". Trois mois seulement plus tard le docteur lui posera la fatidique question: "Avez-vous des fausses dents?" Et là l'opprimé, dont la vie est devenue un enfer, reconnaît qu'il a deux dents en or, fournissant la raison de son infortune: un "effet de pile" malencontreux entre ses deux prothèses dont l'état d'oxydation différent fait que le courant passe. Du moins est-ce l'explication donnée.
"Où peut-on avoir la preuve que L. Bouvreuil a demeuré dans le 15ème arrondissement", demande Jean à Michel? Et ce cas bizarroïde doit-il être pris au sérieux ou comme un canular?

 
Mini enquête vaine

Un parisien ami de Michel, Jean Moisset, est lancé derechef sur la piste de Léon Bouvreuil. Il consulte les listes électorales de 1935 des Archives de Paris sans succès mais il y a des lacunes. La Bibliothèque de France Télécom permet de dire qu'aucun abonné de ce nom ne figure dans l'annuaire du téléphone de 1937.
Une lettre adressée à EDF/GDF, rue de Grenelle, reste sans réponse. Grand merci pour cette aide, mais Léon Bouvreuil semble bien n'avoir laissé aucune trace si ce n'est son étrange histoire. Une mésaventure pas unique, cependant...

 
Autres cas

Une habitante de Daytona Beach, Floride, fut délivrée, dans les années 70, des affres du transistor incorporé par son dentiste. Celui-ci expliqua: "L'acidité de la salive créait un effet de galène qui captait une certaine longueur d'onde, laquelle profitait de la caisse de résonance crânienne pour s'extérioriser..."
Plus récemment, un charpentier de Riverhead, New York, George Dillard, 56 ans, appela la police dans la nuit du 11 février 1980 pour se plaindre d'entendre de la musique rock dans sa tête. L'agent d'astreinte lui conseilla de prendre deux cachets d'aspirine...
Ce que fit George sans résultat. Et de rappeler la police où l'officier, conciliant, accepta de se rendre au domicile de l'insomniaque. "Plaçant son oreille près de la tête de Dillard, il entendit lui-même la musique"; on parvint même à trouver que les ondes provenaient de Hamden, Connecticut.
Finalement, il s'avéra que Dillard était doté depuis peu d'un dentier. La musique cessa lorsqu'il le posa...

 
Reconnaissance officielle

En fait, il semble que les dents sont "de merveilleux agents de transmission sonore" et, épisodiquement, il est proposé de les utiliser pour rendre l'ouïe aux sourds.
Il y a plus de 70 ans, le Dr Gernsbach avait inventé l'"osophone" pour faire entendre les sourds grâce à un micro transmettant les vibrations phoniques aux dents et aux os du crâne.
En 1992, un dentiste de Bethesda, Maryland, proposait un sonotone à insérer directement dans une dent creuse.
Entre ces deux dates, un ingénieur californien Ren Allen proposa une prothèse audiodentaire aussi bien utilisable pour les sourds que pour les pseudo-télépathes. Son slogan reste d'actualité. "Pour garder vos oreilles, soignez vos dents!"

 

Michel GRANGER et Jean MORISSETTE
DIMANCHE Saône & Loire
8 juin 1997