LA HOUILLE BLANCHE
REVUE DE L'INGENIEUR HYDRAULICIEN
JANV-FEV. 1959 n°.1
Avec la collaboration du Professeur Cyprien LEBORGNE
L'EAU ... CULTE
(Problème n°88)
Mes chers Amis,
En ces temps de Spoutnik, Explorer ou autres Lunik, j'en
étais à me demander si ma petite rubrique hydraulique
n'allait pas être obligée de céder le pas à
de savants calculs extra-terrestres lorsqu'une lettre vint me
ramener sur notre planète, me montrant que notre hydraulique
tient toujours sa place et que les hommes sont encore
préoccupés par les problèmes qu'elle pose.
Cette lettre, je vous la soumets toute chaude, espérant
que vous trouverez réponse à l'énigme qu'elle
soumet à votre sagacité et ce faisant, que vous aiderez
le monde à améliorer les conditions de vie de certaines contrées.
Et si vous ne trouvez pas comment " de l'eau nait de la
pierre ", gardez confiance et ayez la foi de Moïse, le
phénomène est déjà connu.
Puisque je vous parle de Moïse et de l'eau qu'il fit
jaillir d'un rocher en plein désert, ceci m'amène tout
naturellement à revenir sur un très vieux
problème, celui des caprices d'un puits artésien
(Houille Blanche, n°.1/1954, problème n°.62) ; mon
éminent correspondant le professeur Chtchapov, de Moscou, m'a
fait parvenir une solution (la troisième) à ce
problème. Mes chers amis, qu'en pensez-vous ?
C.L.
Monsieur le Professeur,
Je prends la liberté de m'adresser à vous sur le
conseil d'un ami qui s'intéresse à vs travaux sans
avoir le temps d'y prendre part, - il le regrette bien !
J'avais entretenu cet ami d'un phénomène curieux
: la production d'eau occulte (ou la production occulte d'eau, si
l'on préfère, par raison d'euphonie).
Les énormes murs d'une certaine abbaye au pied des
Pyrénées, abritent des vents chauds et humides qui
viennent du sud-est, une cour profonde au fond de laquelle se trouve
un lourd sarcophage en pierre calcaire, reposant sur e sol par
l'intermédiaire de deux blocs de marbre.
La cour n'est pas fermée du côté nord et
donne sur une place formant un large dégagement en contrebas.
Au reste, le schéma est très approximativement
le suivant :
Le couvercle aussi épais que les arois du sarcophage
(au moins 15 cm) repose d'une façon imparfaite sur ce dernier.
En deux ou trois endroits, on peut passer les doigts.
Et voilà ce qui se passe : chaque jour il se rassemble
dans le sarcophage 1 à 2 litres d'eau, - le curé la
retire avec un siphon et la distribue. On attribue à cette eau
qui est pratiquement pure et semblable à l'eau
distillée. Il arrive que, si l'on n'y prend garde, le
sarcophage déborde ; la production d'eau a lieu,
paraît-il, en tout temps. Elle peut atteindre 800 litres par
an. Je passe sur la légende qui est attachée au
sarcophage et à sa curieuse propriété. Toutes
les hypothèses ont été émises. Il n'y a
aucune supercherie, pas de tuyauterie secrète, pas de
remplissage frauduleux...
J'ai tout de suite émis celle de la condensation.
Mais, m'a objecté un éminent hydrologue, cela ne
saurait être, car la température à
l'intérieur du sarcophage est supérieure de 2 ou 3
degrés à celle de la paroi externe ; c'est sur celle-ci
que devrait se produire la condensation...
Or, à part un peu d'humidité sur l'arête
verticale nord-est du sarcophage, toute la surface de celui-ci reste sèche.
J'ai timidement esquissé une réponse à
cette objection. Mais avant de poursuivre le développement de
ma théorie, je voudrais, monsieur le Professeur avoir votre avis.
Ce problème présente beaucoup
d'intérêt pour nous hydrologues, car s'il est possible
de recueillir 2 litres d'eau par jour comme cela dans une vieille
pierre, sans rien faire, que ne pourrait-on recueillir dans certaines
régions en apportant au système les améliorations
qui me sont venues à l'esprit !
Voyez-vous vous-même, monsieur le Professeur, quelles
pourraient être ces améliorations ?
L'alimentation en eau de certains lieux
déshérités pourrait ainsi être assurée...
Croyez, cher Professeur, à mes sentiments de
déférente admiration et de profond dévouement.
DELAUNAY-DELAPIERRE
Expert hydrologue et hydrogéologue,
Membre du Touring-Club et de
Plusieurs autres Sociétés savantes.